ANTHOLOGIE SUBJECTIVE oeuvre de CHARLES JULIET | 31.07.2024 | CARNETS DE SAORGE, p.19-20 | 1994
31/07/2024
18 Avril
Il y a deux jours, j’ai reçu avec un très réel plaisir Le Pont secret et Le Temps immobile, envoyés par leur auteur, Claude Mauriac.
Je viens d’en achever la lecture. Que cherche-t-on dans un livre, sinon à découvrir une vie, un être, une sensibilité, une manière autre que la sienne de percevoir le monde ?... Voilà pourquoi j’aime tant les Journaux, les écrits intimes, les Correspondances… En lisant de tels ouvrages, on a l’impression qu’un inconnu est là près de vous, qu’il vous a pris en amitié et choisi pour confident. Et il est passionnant de recevoir ce qu’il a à vous dire, de pénétrer dans son intériorité, de revivre en le savourant ce qu’il a vécu et que ses mots magnifient.
J’ai donc dévoré ces deux livres sans reprendre haleine. J’ai même eu la surprise de trouver mon nom au détour d’une page du Pont secret. A un colloque sur le journal personnel, auquel nous avions été invités par Philippe Lejeune, j’y avais rencontré Claude Mauriac. Et à l’issue de ce colloque celui-ci avait noté entre autres choses : Charles Juliet : bien que, dans sa solitude, à distance de tout ce qui n’est pas son univers intérieur, amical. Non, je ne me tenais pas à distance, je n’étais pas davantage enfermé dans mon univers intérieur. J’étais simplement intimidé. Mais cela n’est que vétille.
Cet homme a quelque chose de pathétique. Et s’il m’émeut tant, c’est parce que je le rejoins à la racine même de ce qui l’a étouffé. Quand mon admiration, ma passion pour un écrivain – Beckett, James Agee, Virginia Woolf – se faisait dévorante, je me suis bien souvent retrouvé laminé, anéanti. La honte du peu que j’étais exacerbait la haine de soi, et il est vrai qu’en de tels moments, la pensée m’effleurait que je n’avais plus qu’à disparaître. Voilà pourquoi je peux comprendre comment Claude Mauriac a été écrasé par l’admiration éperdue qu’il portait à son père. Lui, Claude c’est à peine s’il a pu repousser ce bâillon de la négation de soi qui lui scellait les lèvres, et je vois ses livres comme les gestes désespérés de quelqu’un qui se démène pour tenter de s’octroyer la permission d’exister. Moi, je suis parvenu à rejeter ce qui m’annihilait – parce que je n’ai été aux prises avec ce problème qu’à l’âge adulte, alors que lui l’a vécu dès son enfance – mais je crois que ces moments où j’étais poussé vers la mort ont été pour une grande part à la racine de mon ancienne et présente humilité.
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